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Sylvia Lacaisse Sculptures par Robert Fohr -1985

Catalogue exposition galerie Pierre Lescot Paris

La barque est tout à la fois symbole et objet rituel. Elle tend tangible ici l'idée d'une double traversée : celle, d'abord, de l'existence terrestre, puis celle des âmes au pays des morts. Qui plus est, dans certaines traditions, elle est, de ce second voyage, le véhicule privilégié... Il n'y a donc, dans ce cas, aucun hiatus, aucune rupture entre la dimension symbolique de l'objet et sa fonction réelle : ce que la barque évoque d'emblée, devenue matériel funéraire elle en autorise au défunt la réalisation. La fragilité de l'esquif est, a contrario, l'image des périls qui jalonnent l'un et l'autre parcours.

L'œuvre de Sylvia Lacaisse ne procède nullement d'une démarche érudite, ou archéologique. La culture des musées et des livres y est présente, certes, mais sous la forme de traces, de vestiges... d'allusions lointaines et elliptiques. Par delà les mythes et les rites funèbres et héroïques des civilisations éteintes, c'est à une sorte de mémoire universelle, à un bagage collectif inconscient qu'il faut peut-être se référer pour tenter d'expliquer les arcs et les barques. Mais le charme particulier qu'exercent ces objets tient d'abord à l'ambiguïté de leur statut : il s'agit bien d'œuvres d'art, n'est-ce pas également autre chose,à l'instar de ces produits d'un artisanat primitif qu'au prime abord on croirait dénués d'utilité voire de sens, faute, simplement, d'en posséder la clef? Objets magiques en dépit même de la volonté de leur auteur, instruments de quelque culte parallèle et invisible...



"Bricolés", dirait-on, à l'aide de quelque matériaux de fortune,les barques ont néanmoins l'élégance, le nerf et le style de grands gestes artistiques. D'infimes détails - contre-poids minuscules de cire teintée ou de plomb vif-argent, colorations rares des bois- et d'impeccable envolées de lignes traduisent un travail tout de précision,un goût de l'esquisse accomplie,une ambition du chef-d'œuvre immédiat... pour bâtir comme pour ciseler, le geste de Sylvia Lacaisse est toujours sûr, qui chaque fois découvre des jeux inattendus, des associations subtiles et rigoureuses de formes et de matières. la qualité expressive de l'objet, sa présence et sa fascination sont là, et non point seulement dans ses connotations symboliques : formes parfaites, surgies d'on ne sait où, insituables dans le temps, mais dotées d'un pouvoir d'évocation aussi prégnant que vague. Envoûtant.

Robert Fohr